Le moins qu’on puisse dire est que les fiscalistes gouvernementaux ont appliqué l’adage « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ». Le projet de loi sur la TGAP Energie ressemble à un casse-tête qui, en outre, malgré sa complexité, comporte encore des lacunes qu’il sera nécessaire de combler lors du débat parlementaire ou dans les textes d’application.
(NDLR : nous remercions Christophe Baulinet, adjoint au DGEMP et auteur du rapport qui porte son nom sur la TGAP Energie, pour les éclaircissements qu’il a bien nous voulu apporter sur le projet de loi).
Le conseil des ministres du mercredi 14 novembre a adopté le projet de loi sur l’extension de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) aux consommations intermédiaires d’énergie des entreprises. Quelques jours auparavant, le Conseil d’Etat avait repoussé le projet au motif qu’il introduisait une discrimination fiscale entre les redevables. Le texte a donc été modifié entre temps et, pour ceux qui connaissaient le projet initial, dans le sens d’une plus grande complexité. C’est donc ce texte modifié qui sera présenté au Parlement fin décembre, au titre de la loi rectificative de finances pour l’année 2001.
Le principe général
A un certain nombre d’exceptions près (voir ci-dessous), tous les « produits énergétiques » sont taxés, à un taux qui tient compte de leur contenu en carbone et qui correspond à une taxe de 260 F par tonne de carbone émise. L’électricité, dont l’origine en France est à 80% nucléaire et 10% hydraulique, donc sans émission de CO2, est taxée à un taux à peu près équivalent à celui du gaz. On aboutit ainsi au barème suivant :
-Electricité : 13 F/MWh
-Gaz naturel : 13 F/MWh PCS
-Fioul domestique : 189 F/1000 litres
-Fiouls lourds : 234 F/t
-GPL combustibles : 208 F/t
-Charbons, dérivés et assimilés : 174 F/t
Sont redevables de cette taxe toutes les entreprises (Attention : ni établissement, ni groupe) dont la consommation de ces produits énergétiques est supérieure à 100 tep/an. L’équivalence en tep des unités de ces produits sera précisée par un décret ultérieur. Ce seuil de 100 tep/an est assimilé à une franchise : dans tous les cas, seule la partie de la consommation au-delà de ces 100 tep/an sera taxée. L’application de la taxe s’appuie sur un système déclaratif trimestriel. Chaque trimestre de l’année légale, les entreprises devront déclarer au fisc leur consommation et la taxe ne se déclenchera que lorsque le cumul de ces déclarations dépassera 100 tep.
Attention : Le fait déclenchant est la réception du produit chez le consommateur, ce qui n’est pas neutre pour certaines énergies stockables.
Un dispositif d’abattement est prévu pour les entreprises « intensives en énergie », c’est à dire celles dont la consommation rapportée à la valeur ajoutée est supérieure à 25 tep/MF. La définition de la valeur ajoutée (VA) est celle qui est en usage actuellement pour le plafonnement de la taxe professionnelle. En outre, celles dont le ratio est supérieur à 50 tep/MF de VA pourront, en 2001, signer avec la puissance publique un engagement volontaire de réduction de leurs émissions de gaz carbonique, qui prendra effet dès 2002. Celles qui, chaque année ultérieure, respecteront cet engagement ou feront mieux bénéficieront d’un avantage fiscal supplémentaire.
Attention : Le numérateur du ratio tep/VA est la somme des quantités taxées, des quantités exonérées (voir ci-dessous) et des énergies renouvelables utilisées. Cette mesure est un encouragement en faveur des EnR puisqu’en augmentant le numérateur, elles permettront d’atteindre des taux d’abattement supérieurs.
Selon le ministère des Finances, la TGAP Energie concernera 40 000 entreprises et devrait en 2001 rapporter environ 3,8 milliards de francs qui seront directement versés au FOREC, fonds destiné à financer la réduction du temps de travail dans les entreprises.
Les produits et entreprises exonérés
La taxe ne s’appliquera pas aux produits destinés à être utilisés :
-comme matières premières
-pour la propulsion et la traction
-pour le fonctionnement des installations et infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires, fluviales ou lacustres
-pour les besoins de la production des produits suivants destinés à la revente : produits énergétiques, vapeur, eau chaude et froid (Attention : voir plus loin ce que cet énoncé recouvre)
-pour les besoins des installations de stockage et de transport des produits énergétiques.
Sont en outre exonérés de la taxe les consommateurs suivants :
Les établissements médicaux, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs de toute nature ; les établissements publics (l’Etat n’allant pas se payer une taxe à lui-même) feront l’objet de dispositions particulières au sein du plan de maîtrise de l’énergie.
-Les personnes qui reçoivent des produits énergétiques en vue de leur livraison ou de leur revente en l’état, mais uniquement pour ces produits.
-Les personnes qui reçoivent des produits énergétiques et les utilisent pour produire de l’électricité, du gaz ou du coke de houille qu’elles destinent à leur propre usage, lorsque ces derniers font l’objet pour partie d’une revente. La taxe ne s’applique pas aux produits utilisés pour la production des produits revendus. Attention : cette mesure concerne directement la cogénération, mais il reste des points à éclaircir (voir plus bas).
-Les entreprises créées en cours d’année, jusqu’à la fin de leur première année civile d’exercice (vraie création, c’est à dire ni concentration, ni restructuration, ni extension, ni reprise).
La TGAP Energie en 2001
Pour 2001, le projet de loi distingue quatre situations différentes :
-Moins de 100 tep/an : exonération totale.
-Plus de 100 tep/an et moins de 25 tep/MF de VA : taxation au taux plein (voir barème ci-dessus) des quantités reçues au-delà des 100 tep. Cette franchise s’applique à tous les cas suivants. Le paiement de la taxe s’effectuera trimestriellement, dès que la somme des déclarations trimestrielles au cours de l’année civile aura dépassé 100 tep. Ce rythme de règlement vaut, de la même façon, pour toutes les entreprises taxables.
-Plus de 100 tep/an et plus de 25 tep/ MF de VA : taxation avec régime d’abattement progressif. Le projet initial prévoyait un régime en marches d’escalier avec quatre taux d’abattement : 50% de 50 à 99,99 tep/MF ; 80% de 100 à 199,99 tep/MF ; 90% de 200 à 399,99 tep/MF et 95% à partir de 400 tep/MF.
Le projet actuel a repris ces taux d’abattement pour les mêmes ratios, mais il les a reliés entre eux par des segments de droite, en partant de 0% pour 25 tep/MF. Le taux d’abattement croît donc régulièrement avec la valeur du ratio tep/an, le long d’une courbe constituée d’une succession de segments de droite.
-Plus de 100 tep/an et plus de 50 tep/MF de VA : les entreprises qui sont dans ce cas pourront profiter de l’année 2001 pour signer avec l’Etat un « engagement volontaire » qui prendra effet à partir de 2002 et pour 5 ans. Elles pourront de ce fait, et à partir de 2002, bénéficier de réductions fiscales supplémentaires (voir ci-dessous).
En 2001, le montant de la taxe sera calculé de la façon suivante pour les entreprises bénéficiant d’un abattement : le taux d’abattement correspondant à la valeur du ratio tep/MF sera appliqué à la consommation de l’année 2000 et la taxe portera sur la différence entre la consommation réelle de l’année 2001 et la « consommation abattue » de 2000.
Attention : pour les entreprises qui ne pourront ou ne voudront pas signer un engagement volontaire, cette « consommation abattue » de l’année 2000 sera reconduite comme référence de calcul pour toutes les années ultérieures !
Dès 2002 : les engagements volontaires
Réservés aux entreprises dont le ratio tep/MF de VA est supérieur ou égal à 50, les engagements volontaires pourront être signés avec l’Etat dans le courant de l’année 2001 et prendre effet dès 2002. Les autres paieront la TGAP calculée selon les modalités indiquées ci-dessus.
-Définition de l’engagement
Chaque entreprise concernée devra contacter un expert indépendant et agréé (les conditions d’agrément seront précisées par un décret ultérieur), qu’elle aura la charge de rétribuer. En s’appuyant sur les ratios constatés d’efficacité énergétique du secteur d’activité, qui seront collectés et publiés par le ministère de l’Industrie, cet expert devra établir un scénario de référence année par année pour les cinq années suivantes. Il disposera cependant de quelques marges de manœuvre : il pourra tenir compte des prévisions de production et, s’ils sont prouvés, des efforts d’économie d’énergie effectués par l’entreprise durant la décennie 1990-2000. La situation de référence sera exprimée, pour chacune des cinq années, en termes de MWh pour l’électricité et de tonne équivalent carbone (teC) pour les combustibles. L’entreprise s’engagera alors pour 5 ans auprès des pouvoirs publics à faire mieux que la situation de référence et précisera ses objectifs année par année.
Attention : pour l’instant, on ignore quelle puissance publique sera l’interlocuteur des entreprises. Comme les ministères intéressés sont nombreux (Finances, Industrie, Environnement, mais aussi Agriculture, Commerce et Artisanat), on peut penser que cette mission sera confiée à un organisme interministériel, par exemple la Mission interministérielle de l’effet de serre (MIES) – à condition qu’on lui en donne les moyens matériels (un soutien technique de l’ADEME ?). Par ailleurs, la complexité des différentes étapes nécessaires laisse planer un doute sur la possibilité de signer ces engagements pour 2002.
Attention encore : le projet de loi prévoit que ces engagements seront signés entreprise par entreprise, ce qui donne un total supérieur à mille. Il ne serait pas stupide de proposer qu’ils puissent être pris au niveau des groupes, à charge à ces derniers de répartir l’objectif global entre leurs différentes entreprises, ce qui confèrerait au dispositif davantage de souplesse et même d’efficacité tout en étant équivalent pour l’environnement. On peut même imaginer que certains groupes pourraient instituer une sorte de marché de permis négociables entre leurs filiales, ce qui serait un excellent apprentissage pour l’avenir. Un amendement dans ce sens serait à suggérer.
Attention toujours : d’après le projet actuel, les engagements ne portent que sur le dioxyde de carbone. Or, la problématique générale est celle de l’effet de serre et l’on ne voit pas pourquoi les autres gaz à effet de serre, pourtant pris en compte par le protocole de Kyoto, seraient exclus. Il serait certainement possible d’obtenir que la réduction des émissions de ces gaz puisse participer, pour une partie « raisonnable » (20-25% ?), à la satisfaction des objectifs. Un amendement serait, ici aussi, à suggérer.
Les avantages fiscaux
Dès 2002, les entreprises qui auront signé un engagement volontaire bénéficieront de deux avantages :
-la TGAP sera calculée sur la base de leur consommation de 2002, et non de l’année 2000, ce qui évitera de pénaliser les entreprises dont l’activité, et donc la consommation, est en croissance ;
-si une entreprise fait mieux, une année donnée, que le scénario de référence établi par l’expert, elle aura droit à un « bonus » fiscal. Celui-ci sera calculé de la façon suivante : on mesurera la différence de consommation entre le scénario de référence et la réalité, qu’on exprimera en tonnes équivalent carbone pour les combustibles et en MWh pour l’électricité et on les valorisera à 520 F/teC et 26 F/MWh. On remarquera que ces valeurs sont le double du barème de base de la taxe. Il se pourrait donc que certaines entreprises particulièrement performantes ne paient pas de taxe une année donnée (mais aucun remboursement n’est quand même prévu). Ce calcul est bien complexe, mais il paraît qu’il est faisable. Il renferme cependant une étrangeté : si le critère pris en compte est la différence entre le scénario de référence établi à dire d’expert et la consommation réelle, à quoi servent les objectifs fixés dans le cadre de l’engagement ? N’ont-ils aucune portée juridique ou fiscale ?
NDLR : à moins que quelque subtilité du texte nous ait échappé).
Cet engagement de 5 ans ne pourra être révisé en cours de période que dans deux cas. D’un côté par l’Etat, s’il constate que l’entreprise a fourni des données fausses. De l’autre par l’entreprise, en cas de modification substantielle de sa situation (gros investissement de production, vente d’établissement, scission, absorption, fusion, acquisition,…). Les modalités de révision seront certainement précisées par un décret.
Une bizarrerie sans réponse
On l’a vu, les produits énergétiques utilisés pour produire des énergies destinées à la vente ne sont pas taxés. Puisque le principe adopté est de taxer l’énergie à la réception, cette exonération est indispensable pour éviter une taxation en cascade qui serait inadmissible.
Se pose alors le cas de la cogénération et de ses différentes configurations possibles. Si le cogénérateur auto-consomme la totalité de la production, soit l’électricité et la chaleur, il n’y a pas de revente et toute la consommation de gaz de son installation devrait donc être taxée. Mais s’il revend l’électricité, celle-ci sera taxée en bout de ligne, chez le consommateur, et elle ne peut l’être deux fois. Il faudrait donc exonérer de taxe la partie du gaz consommé correspondant à la production d’électricité, ce qui devient complexe et introduit une distorsion. On pourrait imaginer, pour l’auto-consommateur, une solution intermédiaire et équivalente à la précédente : l’électricité qu’il produit et qu’il auto-consomme serait taxée à la « réception » au tarif de l’électricité, et la part de gaz consommé correspondante serait exonérée. Troisième possibilité : la cogénération appartient à une société extérieure à laquelle l’industriel achète la vapeur. Comme l’électricité et la vapeur sont revendues, la consommation de gaz serait totalement exonérée et l’industriel bénéficierait d’une vapeur détaxée.
On peut aller plus loin : la question se pose pour toute chaufferie ou toute centrale frigorifique. Le mécanisme d’exonération prévu conduit immédiatement à la conclusion que toute entreprise aurait intérêt à l’externaliser, soit en la vendant à un prestataire extérieur, soit en la filialisant, pour échapper à la taxe. Il serait fort souhaitable que le cas de la cogénération soit traité en détail et en tenant compte de ses arguments énergétiques et environnementaux.
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